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  Maxine Raferty est typiquement une femme de l’Ouest. Solidement charpentée, elle porte une ample robe imprimée, des lunettes sans monture et un filet sur ses cheveux argentés aux reflets bleus. Assise sur le porche d’un chalet de bois de cèdre, elle lit un roman policier. Lee Raferty, lui, est très mince. Accroupi, il est en train de graisser le train avant d’un camion délabré, lorsque Pitt arrive en trottant et salue.

  Lee Raferty retire de sa bouche le restant d’un cigare éteint qu’il mâchonne et répond au salut.

— Belle journée pour se donner de l’exercice, dit Maxine en examinant Dirk Pitt au-dessus de son livre.

— Cette brise de montagne vous ferait trotter pendant des heures, fait Pitt.

  Le visage des Raferty est certes aimable, mais on y lit aussi l’instinctive méfiance des gens de la campagne à l’égard des inconnus qui font irruption sur vos terres et, notamment, à l’égard des inconnus qui viennent visiblement de la ville. Lee s’essuie les mains sur un chiffon graisseux et s’approche.

— Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?

— Certainement. Surtout si vous êtes Lee et Maxine Raferty.

  Les mots tirent Maxine de son fauteuil.

— Nous sommes les Raferty, en effet.

— Je m’appelle Dirk Pitt. Je suis l’invité de Loren Smith, là-bas, sur la route.

  L’expression de méfiance fait place à de grands sourires.

— La petite Loren Smith ! Mais oui, répond Maxine cordialement. Nous sommes tous fiers d’elle par ici. Vous pensez, c’est elle qui nous représente à Washington.

— J’ai pensé que vous pourriez peut-être me donner des renseignements sur la région.

— Avec plaisir, dit Lee.

— Voyons, ne reste pas là planté comme un piquet, lance Maxine à son mari. Donne quelque chose à boire à notre visiteur. Il m’a l’air d’avoir soif.

— Bien sûr, que diriez-vous d’une bière ?

— Je dirais que ça me paraît parfait, répond Pitt en souriant.

  Maxine ouvre la porte et le fait entrer.

— Vous allez rester à déjeuner.

  C’est plus un ordre qu’une invitation, et Pitt ne peut faire autrement que d’accepter d’un signe de tête.

  Il y a dans le living-room une galerie qui abrite la chambre à coucher sous un haut plafond de poutres apparentes. La décoration est un riche assemblage « art déco » un peu hétéroclite. Pitt a l’impression de se retrouver tout à coup dans les années trente. Lee file à la cuisine et en revient bientôt avec deux bouteilles de bière : sans étiquettes, remarque Pitt.

— J’espère que vous aimez la bière faite à la maison, dit Lee. Il m’a fallu quatre ans pour arriver à un juste milieu entre le trop doux et le trop amer. Elle fait à peu près 8 degrés.

  Pitt déguste. C’est mieux que ce qu’il craignait. S’il n’y avait pas un rien le goût de levure, la production de Lee Raferty pourrait passer pour une bonne bière de commerce.

  Maxine a dressé la table et leur fait signe de venir s’asseoir. Elle apporte un grand plat de salade de pommes de terre, un ragoût de haricots et une large assiette de minces tranches  de viande. Lee remplace leurs bouteilles de bière vides par deux pleines et commence à passer les plats.

  La salade de pommes de terre est rustique et bien assaisonnée. Le ragoût de haricots est recouvert d’une épaisse couche de miel. Pitt est incapable de reconnaître la viande ni son goût, mais elle est délicieuse. Et bien qu’il ait déjeuné avec Loren il y a à peine une heure, l’arôme du repas campagnard le fait dévorer comme un vagabond.

— Il y a longtemps que vous vivez ici ? demande-t-il entre deux bouchées.

— Nous prenions déjà nos vacances dans la Sawatch dans les années cinquante, répond Lee. Nous avons posé notre sac ici quand j’ai quitté la Marine. J’étais plongeur de haut-fond. J’ai été gravement atteint du mal des caissons et je me suis retiré avant mon temps. Voyons, ça devait être l’été 71.

— 70, corrige Maxine.

—  « Max » a une mémoire d’éléphant, dit Lee avec un clin d’œil à Pitt.

— Avez-vous jamais entendu parler d’un avion qui se serait écrasé par ici, disons : dans un rayon de vingt kilomètres ?

— Ça ne me rappelle rien, dit Lee. Et toi, Max ?

— Pour l’amour du ciel, Lee, où as-tu la tête ? Tu ne te rappelles pas ce pauvre docteur et sa famille qui ont été tués quand leur avion s’est écrasé tout près de Diamond ? Que dites-vous des haricots, monsieur Pitt ?

— Merveilleux, reconnaît Dirk. Diamond est une ville proche d’ici ?

— Dans le temps, oui. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un carrefour avec un ranch pour touristes.

— Je me rappelle maintenant, ajoute Lee en reprenant de la viande. C’était un de ces petits appareils à un seul moteur. Il a flambé comme une boîte d’allumettes. Il n’en restait rien. Il a fallu plus d’une semaine au service du shérif pour identifier les victimes.

— C’est arrivé en avril 1974, précise Maxine.

— Ce qui m’intéresse, c’est un appareil beaucoup plus important, reprend patiemment Pitt. Un avion de transport. Il a dû tomber par ici il y a trente ou quarante ans.

  Maxine crispe son visage tout rond et fixe le plafond. Finalement, elle secoue la tête.

— Non, je suis à peu près sûre de n’avoir jamais entendu parler d’une catastrophe aérienne de cette ampleur. Pas chez nous, en tout cas.

— Pourquoi demandez-vous ça. Monsieur Pitt ? interroge Lee.

— J’ai trouvé de vieux restes d’appareil dans le garage de Miss Smith. Son père a dû les ranger là. Je me demandais s’il ne les avait pas trouvés quelque part dans la montagne.

— Charlie Smith, murmure pensivement Maxine. Dieu ait son âme ! Il tirait plus de plans sur la comète pour devenir riche qu’un escroc au chômage.

— Je suis sûr qu’il a dû acheter ce truc chez un marchand de surplus de Denver pour construire une de ses inventions qui ne marchaient jamais.

— Le père de Loren me paraît avoir été un inventeur plutôt malheureux.

— Vous pouvez le dire, dit Lee en riant. Je me rappelle encore le jour où notre pauvre vieux Charlie essayait un moulinet automatique de son invention. L’hameçon allait partout, sauf dans l’eau.

— Pourquoi dites-vous « ce pauvre vieux Charlie » ?

— Sans doute à cause de sa mort affreuse, dit Maxine avec une expression de tristesse. Loren ne vous en a pas parlé ?

— Elle m’a dit seulement qu’il était mort il y a trois ans.

— Vous ne voulez pas une autre bière ? demande Lee en montrant à Pitt sa bouteille vide.

— Non, merci, il ne faut pas abuser des meilleures choses.

— La vérité, dit Lee, c’est que Charlie a été victime d’une explosion.

— Une explosion ?

— De la dynamite, je crois. Personne n’a jamais su exactement. A peu près tout ce qu’on a retrouvé et qu’on pouvait reconnaître, c’est une de ses bottes et un pouce.

— Le shérif a déclaré dans son rapport qu’il s’agissait probablement d’une nouvelle invention de Charlie qui aurait mal tourné, ajoute Maxine.

— Et moi, je persiste à dire que le shérif avait de la merde dans les yeux, grogne Lee.

— Tu n’as pas honte ? lui reproche Maxine avec une expression offusquée.

— C’est bien ce que je pense en tout cas. Charlie en savait plus que n’importe qui sur les explosifs. Il avait été spécialiste dans les services de déminage de l’Armée. Voyons, bon Dieu ! il avait désamorcé des bombes et des obus à travers toute l’Europe pendant la Deuxième Guerre.

— Ne faites pas attention à ce qu’il raconte, intervient Maxine. Lee s’est mis dans la tête que Charlie a été assassiné. C’est idiot ! Charlie Smith n’avait pas un ennemi au monde. Sa mort a été purement et simplement un accident.

— A chacun son opinion, répond Lee.

— Un peu de dessert, monsieur Pitt ? demande Maxine. J’ai fait des chaussons aux pommes.

— Non, merci. Je suis incapable d’avaler une bouchée de plus.

— Et toi, Lee ?

— Je n’ai plus faim, gronde Raferty.

— Ne soyez pas fâché, monsieur Raferty, dit Pitt pour le consoler. Il me semble que j’ai moi-même été victime de mon imagination. Tomber sur des pièces d’avion en plein cœur des montagnes… J’ai pensé aussitôt qu’elles provenaient d’un accident.

— Les hommes sont parfois comme des enfants, dit Maxine avec un sourire de petite fille. J’espère que votre déjeuner vous a plu.

— Il était digne d’un gourmet, la complimente Pitt.

— Mes huîtres des montagnes Rocheuses n’étaient pas tout à fait assez cuites. Il me semble qu’elles étaient un peu trop saignantes. Ce n’est pas ton avis, Lee ?

— Pour moi, elles étaient parfaites.

— Des huîtres des montagnes Rocheuses ? interroge Pitt.

— Mais oui, voyons, explique Maxine. Des testicules de taureau frits.

— Vous avez bien dit testicules ?

— Lee tient à ce que j’en fasse deux fois par semaine.

— C’est bien autre chose que le hachis Parmentier, dit Lee en riant.

— Ça, il n’y a pas de doute, murmure Pitt en regardant son estomac.

  Il se demande tout à coup si les Raferty ont chez eux de l’Alka-Seltzer et il regrette sa partie de pêche.

 

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